Les Bourses Expé by Cabesto Magasins Cabesto

Bourses Expé by Cabesto 2023

récit d'expédition [lauréats BOURSES 2014]

El Riso'to del Patron

Tentative d'ouverture sur le Riso Patron

CHILI - Octobre-novembre 2014

Le temps est beau, le sommet en vue, mais…

L'ÉQUIPE

 

Lise Billon, 25 ans

 

Jérôme Sullivan, 30 ans

 

Martin Elias

 

Antoine Moineville

 

Le projet initial

Suite à l'ascencion du Cerro Murallon à l'automne 2012, nous avons été très motivés par cette région et par ses sommets innexplorés. Le Riso Patron nous a tout de suite attiré et donné l'idée d'ouvrir de nouvelles voies sur ce sommet isolé sur le hielo continental Sur, à soixante kilometre de El Chalten. L'accès devait se faire initialement par le côté argentin, en ski-pulkas.  Suite à des rencontres de marins et d'andinistes, notamment un personnage historique et qui a fait quelques-unes des plus belles premières de son époque, Carlos Comensana, nous avons décidé de changer d'approche. Aussi, nous avons troqués kytes, pulkas et skis contre un vieux ciré jaune, et nous partons en connaissance de cause: c'est pas l'homme qui prend la mer mais la mer qui prend l'homme.

Nous avons choisi d'aborder le Cerro Riso Patron par l'ouest et les fjords chiliens. 4 jours de navigation, des fjords pleins d'icebergs, de la forêt magellanique, des marécages, des lacs encaissés, des moraines pourries, et un glacier nous séparent de la paroi... pas une mince affaire si on rajoute les vents tempétueux de la Patagonie! Alors le 15 octobre nous partons (Lise, Martin, Antoine et Jérôme) pour découvrir cette paroi mystérieuse et ses contrées isolées.

Une expédition d’alpinisme exploratoire pur. Et les (parfois mauvaises) surprises ont été au rendez-vous.

Puero Natales, tout est empaqueté, demain on part!

Chapitre 1 : De la naissance d’une idée…

 

Décembre 2012. Nous sommes à El Chalten, Jérôme et moi, Lise. Notre périple d’un mois sur le Hielo Continental Sur nous a laissé changés. Le Murallon est derrière nous, et nous errons dans les rues de la ville, désœuvrés, à la recherche d’un nouveau projet qui puisse nous transporter autant que celui que nous venons de vivre. Le Cerro Torre et le Fitz Roy nous dominent, et nous faisons la fine bouche. Que nous sommes arrogants face à ces géants de pierres.

De bars en restaurants, de restaurants en pâtisseries, de glaces en rencontres, nous finissons par croiser Rolando Garibotti, le gourou de Chalten. Passionné de la région, il parcourt sans cesse le massif et recueille toutes les infos disponibles ; à lui tout seul il pourrait représenter la bibliothèque de l’ENSA de la Patagonie. Et bien plus encore !

Nous partageons avec lui nos moments aux Murallon, mais surtout notre désir d’exploration, notre envie d’aller toujours plus loin vers des horizons inexplorés. C’est lui qui nous parle du Riso Patron, ce sommet inaccessible. Il a en sa possession les photos prises par le GMHM depuis un avion. La montagne est belle, dans un endroit reculé et difficile d’accès, et toujours vierge de toute ascensions. La montagne parfaite colle à tous nos critères. Nous en évoquons l’idée, un projet se dessine…

 

Chapitre 2 : Des aléas de la vie…

 

Insidieusement, le projet s’installe. Pourquoi pas l’automne prochain ? Même s’il nous paraît un peu compliqué, même s’il nous attire, il nous fait un peu peur. Mais nous sommes en voyage pour 9 mois et nous sommes ici pour profiter. Nous ne résistons pas à l’appel du Cerro Torre. Mi-février 2013 après deux mois de convalescence pour Jérôme qui s’est pris une pierre sur l’épaule au Murallon, nous reprenons à gravir les montagnes.

Les créneaux météos pleuvent cette saison là à Chalten, et nous n’avons rien pu faire durant la belle brèche de 10 jours qu’a connu la Patagonie. Et enfin nous sommes opérationnels. Les sacs bouclés nous nous lançons dans la face est du Cerro Torre, alors que tout le monde afflue sur la voie des Recco dei Ragni, en face ouest. Nous sommes seuls. Peut être n’aurions pas du faire preuve d’arrogance envers ces montagnes, peut être nous ont-elles simplement fait un rappel à l’ordre.

La saison a été sèche et chaude et la voie n’est parcourue qu’exceptionnellement. Ce jeudi 21 février, il est 17 h et nous approchons du grand névé triangulaire, en bas de la face est, à 200 mètres du sol. Il fait beau et la longueur qui suit est vraiment facile. Les choses imprévisibles arrivent toujours aux moments les plus inattendus. Jérôme est à 15/20 mètres au dessus du relais quand il part avec un énorme bloc qui frôle le relais, manquant de tout arracher et passe à quelques centimètres de ma tête, manquant de peu de m’écraser. Ce sont les premières choses dont je me souviens et qui m’ont marquées. Ensuite, viens le souvenir de Jérôme rebondissant tel un pantin désarticulé dans ce terrain facile. Il passe au-dessus de moi et tout se fige. Il est coincé dans la cheminée, 5/7 mètres en dessous de moi, à l’horizontale, la tête légèrement en bas. La corde n’a pas de tension, il s’est arrêté seul dans cette cheminée, pendu dans le vide. Il vient de chuter de plus de 20 mètres. Je le crois mort. Mais non, il est conscient et me répond.

Nous ne le savons pas encore, mais il a le bassin et une vertèbre cassée. Plus quelque côtes fêlées, mais cela a si peu d’importance. L’hémorragie interne due à sa fracture du bassin, par chance, finit par se contenir. Car nous n’arrivons au premier centre de secours que le samedi matin, à 8 h. 40 heures après l’accident. Nous n’irons pas au Riso Patron l’automne prochain.

Chapitre 3 : Du rêve à la concrétisation…

 

Janvier 2014, la période de convalescence est terminée. D’autre projets ont fleuris depuis. Pendant que je m’entraîne activement au probatoire du Guide de haute montagne, nous construisons notre projet pour l’Alaska pour ce printemps.

Et le Riso Patron dans tout ça ? Et bien, nous ne l’abandonnons pas. Nous en parlons autour de nous, première barrière, réunir une équipe. Le problème est à aborder sous deux angles différents. Le premier, trop de monde semble motivés. Jérôme a proposé à tout son carnet de contacts de partir avec nous. Le deuxième : qui est vraiment motivé ? Qui va réellement vouloir se donner à 100% dans ce projet ? Et il nous faut aussi composer une équipe soudée.

Alors nous commençons déjà à démarcher, Jérôme et moi, à chercher de plus amples infos, demander des aides et de sponsors. Il semble que nous ne soyons pas très bons à cet exercice et nous sommes également occupés à faire fonctionner notre projet pour l’Alaska, et moi à préparer le proba. Petit à petit, l’équipe se dessine réellement. Et juillet, nous sommes fixés. C’est Antoine et Martin qui nous accompagnerons. Et les infos ? En creusant, nous nous apercevons que déjà quelque expés s’y sont cassées les dents. Seul l’intrépide Ferrari a réussi à atteindre le sommet nord, mais personne n’a réussi à accomplir l’approche qui mène au sommet sud. En 82, une équipe composée de Jean Marc Boivin et Dominique Marshal entre autres, avait buté dans les moraines amenant au Hielo Continental. Ils avaient tenté une approche en voilier depuis les fjords chiliens.

Nous avons vent également d’une expédition argentino-slovène qui n’avait fait que passer le long de cette chaîne, le mauvais temps les empêchant ne serait ce que d’imaginer de grimper. Ils approchent en ski-pulka depuis le nord et continuent leur traversée vers le sud, relevant quelques photos au passage. Conmensana et Fontrouge approchèrent également pour récolter des informations. La dernière expédition connue est celle de Barmasse, Bernasconi et Ongaro et date de 2009. Ils tentèrent de traverser depuis El Chalten, mais apparemment butèrent devant un labyrinthe de crevasses qui leur barré l’accès à la montagne.

Les infos les plus importantes nous viennent de Conmensana. Pour lui, la meilleur approche consister à rentrer par les fjords chiliens avec une embarcation, et de se faire déposer dans le fjord Falcon, où débouche la vallée au pied du Riso Patron. Après une longue réflexion et l’avis de plusieurs amis kiteurs connaisseurs de la Patagonie, nous laissons tomber l’idée de la traversée en kitesurf et prenons le parti de Conmensana. Nous ferons l’approche en bateau.

 

Chapitre 4 : de la concrétisation à la réalisation…
et des embûches encombrant la réalisation

 

Dans la réalisation d’un projet, il y a toujours les aléas que l’on oublie de prendre en compte. Et ceux auxquels on pense ne sont pas ceux qui nous posent le plus de problèmes. En général. Notre contact semble bon. L’ami d’enfance d’un super ami à nous. Mais c’est sans compter sur la différence culturelle qui nous sépare. Là bas, « je m’occupe de tout rapidement » ne semble pas avoir la même signification pour eux que pour nous.

Et quand ledit pêcheur nous présente son embarcation ; « una lancha costera deportiva », à comprendre un petit hors bord pour remonter les quelques centaines de kilomètres qui nous séparent du fjord, là où un ferry a réussi à s’échouer durant le dernier hiver, nous commençons à avoir de sérieux doutes sur ses compétences et sa crédibilité. Pauvres naïfs que nous sommes, nous avions déjà payé en avance.

Nous attendons une vingtaine de jours à Puerto Natales avant de nous énerver contre notre pêcheur. Pendant ce temps, un torticolis violent s’en prend à mon cou, suivi d’une rage de dent que je serai contrainte d’arracher la veille du départ en bateau. Et nous bataillons toujours avec les autorisations à n’en plus finir qu’exige l’administration chilienne. Bref, le voyage est placé sous de drôles d’hospices.

Nous arrivons finalement à le convaincre de nous payer le ferry qui rallie Puerto Natales à Puerto Montt. Nous descendrons au milieu du voyage, qui normalement dure 4 jours, à Puerto Eden, village d’une centaine d’habitants. Sans nul doute le village le plus isolé du Chili. De là, nous prendrons un bateau de pêcheur pour rejoindre le fjord Falcon en 2 jours supplémentaires.

 

Chapitre 5 : A propos du voyage…

 

Les deux jours sur le ferry se passent sans péripéties notables. Quant au débarquement, c’est là que commence véritablement le voyage. Imaginez un vieux ferry français de la SNCM (reliant la Corse à la France) repeint aux couleurs chiliennes. Imaginez ce vieux ferry s’arrêtant à 6 heures du matin dans les eaux des fjords chiliens pour débarquer équipements et personnes.

Le moment semble intemporel. L’arrière du bateau s’abaisse dans la pénombre et une dizaine d’embarcations artisanales s’approchent. Elles viennent récupérer quelques passagers, dont nous, et surtout, ce que les proches leur livrent par bateau. Légumes, outillages, condiments. Car c’est leur seul lien avec le monde extérieur. Nous débarquons du ferry dans cette activité matinale pour être amenés à notre cabane, qui nous servira d’abris pour les deux prochains jours.

La cabane est branlante, le coin du fond à gauche semble près à s’écrouler. Ici, les maisons sont sur pilotis, le sol est constitué de mousses et exclusivement de mousses ! et les nôtres, de pilotis, ne semblent plus très sûrs d’eux. Nous profitons de notre journée pour visiter le village. Un kilomètre et demi le long de la côte, autant de passerelle glissante en guise d’avenue principale. Nous marchons sous la pluie. Ici, il pleut tout le temps, 360 jours par an. Si peu… Nous croisons les quelques habitants et apprenons différentes choses sur leur vie et leur village.

* L’électricité n’y est présente que dix heures par jours, quatre heures le matin à partir de sept heure et six heures le soir à partir de dix-sept heures.

* Il existe un ponton de débarquement pour le Navimag (le ferry que nous avons pris), mais il ne peut être utilisé, il n’a pas été construit aux normes.

* Sur les 100 habitants du village, il y a 3 Indiens Kaweskar, les derniers de leur ethnie, 3 employés de la CONAF (office de gestion des parcs chiliens), 4 carabineros et 5 officiers de l’Armada. Et l’Armada semble bénéficier de privilèges tel que l’électricité toute la journée et un bâtiment en béton et bien isolé. Alors que toutes les maisons sont de bois et de tôles.

* Le plus beau bateau du village est incontestablement celui des carabineros, mais il ne peut sortir en mer ; législation oblige, ils doivent, pour naviguer avoir un équipage de 5 personnes dont 2 capitaines, et une personnes restant à terre. Or, ils sont 4 et n’ont qu’un capitaine. Alors le bateau reste au port. Et ce bateau qui est en métal, possède de gros moteurs et pourrait intervenir rapidement sur des secours, reste à quai.

Après notre visite à l’Armada, nous découvrons que nous nécessitons une autorisation supplémentaire pour quitter le port. Demain, deux officiers viennent vérifier notre matériel et nos vivres.

Le contrôle des vivre est un moment quelque peu divertissant. Afin d’écourter la négociation du permis, les garçons me gratifient d’un diplôme d’infirmière, que je ne possède évidemment pas. Je passe avec brio l’épreuve de la vérification de la pharmacie face à un vrai infirmier. Et en espagnol s’il vous plaît ! Pendant ce temps là, les autres officiers prennent en photo un poireaux et un choux en concluant que cela représentait assez de nourriture pour un mois pour 4, s’enquièrent de savoir si nous avons pensé à prendre des couteaux et un miroir – très important pour eux le miroir – et vérifient que .notre stock d’alcool n’est pas démesuré.

Après cet examen approfondi de nos fonds de sacs, nous décrochons le Saint Graal. Nous partirons le lendemain.

Chapitre 6 : Du voyage en bateau et de l’installation

et de l’exploration dans le fjord…

 

Le Principe. C’est le nom de notre embarcation. Petit rafiot de bois tout en couleur. Il nous faut deux jours pour atteindre le fond du fjord Falcon. Deux jours agrémentés de pêche et accompagnés par les dauphins. Quand nous arrivons dans le fjord, il n’y a pas la trace d’un seul iceberg et nous pouvons atteindre facilement la plage que nous souhaitons.

Nous débarquons notre équipement, disons au revoir à nos pêcheurs et nous nous retrouvons seul dans le fjord. Enfin, nous y sommes. Enfin, nous pouvons nous immerger dans l’aventure. Les premiers jours seront consacrés à la construction de la cabane, car au royaume de la mousse et de la pluie, il nous faut construire un abri assez rapidement pour être au sec.

Nous sommes partis avec 50 mètres carré de bâches, une tronçonneuse et pas mal de clous. Petit à petit, la cabane se construit. Nous installons rapidement le toit pour nous protéger cette première nuit. Le lendemain, les murs sont posés et le poêle installé. Nous avons bêché le sol, afin que nous ne soyons pas sur des mousses imbibées d’eau. Notre camp de base prend forme. Nous sommes à l’abri de la pluie. Le poêle peine à nous réchauffer, pas facile de faire du feu avec du bois mouillé.

Le troisième jour, nous profitons de notre nouvelle demeure, la pluie est battante. Demain, paraît-il, connaîtra moins de précipitations. Nous profitons donc de l’accalmie de cette nouvelle journée pour explorer les lieux. Martin et moi partons en repérage à travers cette jungle patagonienne tandis que Antoine et Jérôme profitent du kayak pour s’enfoncer plus loin dans le fjord.

Avancer dans la végétation n’est pas aussi fastidieux que ce que l’on avait imaginer. Certes nous jouons de la machette et nous enfonçons dans la mousse jusqu’au genoux par moment, mais nous ne sommes pas face à un mur de végétations impénétrables.

Nous taillons un chemin à travers des arbres recouverts de mousses et avançons dans les marécages. Heureusement que nous avons pris des bottes en caoutchouc. Plus nous nous enfonçons et plus nous ressentons une sensation étrange. Nous sommes sûrement les premiers à fouler ce terrain, en abattant les branches sur notre passage et en écrasant la végétation sous nos pieds, nous avons le sentiment de tous massacrer sur notre passage, de violer un endroit jusqu’à présent tranquille. Nous avançons d’un pas conquérant, toujours motivés par la découverte. Qu’il y a t-il de plus exaltant que la perspective d’un terrain inconnu s’ouvrant devant soit ? Comme j’aurais aimé être Christophe Colomb ou Marco Polo…

 

Chapitre 7 : De l’approche vers notre objectif…

 

Peu de jours après, une fenêtre météo se dessine. Nous décidons de faire un portage et de repérer l’approche jusqu’au pied du sommet. Car nous nous sommes arrêtés à la fin du plat de la vallée avec Martin. Il nous reste encore à rejoindre le glacier et à le traverser. Le chemin que nous avons tracé deux jours auparavant se révèle d’une grande utilité. Nous avançons vite jusqu’au torrent. La végétation sur la fin s’est intensifiée et nous ralentissons la cadence. Nous remontons les pentes herbeuses et glissantes qui nous donnent accès au haut du glacier suspendu que nous voulons emprunter.

Quand nous arrivons au bord du glacier, nous trouvons un gros bloc formant une cavité parfaite pour un bivouac au sec. Cela fait 9 heures que nous marchons. Nous faisons une pause et déposons le gros du matériel ici. Il nous reste encore quelques heures de soleil et nous décidons d’en profiter pour aller repérer le reste de l’approche. Il nous faut encore remonter la moraine le long du glacier durant deux bonnes heures avant de chausser les crampons. Il ne nous reste plus qu’à traverser le plateau glaciaire qui s’étend devant nous afin de pouvoir observer le pied de notre sommet. Sommet qui demeure caché dans les nuages.

Chapitre 8 : De la déformation du temps

 

Nous avançons encordés à 20 mètres les uns des autres. Les crevasses ici sont énormes, Mieux vaut prendre ces précautions. Le sommet, comme par magie, quitte son manteau de nuages. C’est la première fois que nous pouvons le voir. Et de si près. Cependant nous ne voyons que la partie sommitale, la base de la paroi est cachée par l’horizon du glacier sur lequel nous progressons. Le terrain est piégeux, nous sommes entre deux ruptures de pentes du glacier, à la fin du printemps. Dans ces régions balayées par le vent, on imagine facilement les crevasses recouvertes d’une fine pellicule de neige, juste ce qu’il faut pour nous les dissimuler.

Et c’est là que le temps se fige. Ralentit, semble-t-il. Jérôme, qui ouvre la marche, disparaît lentement devant moi. L’action est tellement lente que j’ai le temps de faire un pas en arrière pour tendre la corde. Au ralenti. Et puis plus rien. La corde n’est toujours pas sous tension, je recule encore. Ce que je ne sais pas c’est que Jérôme vient de prendre un bon ballant, la corde à fendu la lèvre de la crevasse.

Et nous nous mettons au boulot, corps mort, mouflage. Nous avons du mal à l’entendre, et nous tirons sur le mouflage. Au bout d’un moment nous n’arrivons plus à tirer. Un doute affreux s’empare de moi ; et si nous étions en train de scotcher Jérôme contre la lèvre de la crevasse ?

Je refais une tentative pour essayer de communiquer avec lui, je rampe le long de la corde, de peur de rompre le pont de neige. Et cette fois ci, je peux l’entendre. Il nous hurle de lui donner du mou. Ce que nous nous empressons de faire. Nous changeons alors de tactique. Martin creuse un trou au dessus de là où on imagine Jérôme, lui fait parvenir une boucle de corde et nous le remontons. Je suis au niveau du corps mort quand je le vois sortir. Quelque chose dans son allure cloche, et je comprends très vite qu’il s’est probablement luxé l’épaule. Malgré ses différentes couches de vêtements, je peux le deviner. Combien de temps avons-nous mis pour le sortir de la crevasse ? Je ne sais pas. Le temps s’est distendu et je n’en ai pas la moindre idée. Maintenant qu’il a repris un cours normal, il nous faut en priorité sortir du glacier, nous sommes à peine à 300 mètres de la moraine. Ici, nous sommes en plein vent, le soleil est en train de se coucher et Jérôme semble transi de froid. Une fois un peu descendu, nous nous installons sur un cailloux et tentons de lui remettre l’épaule en place. Tentative désespérée, il est encore trop crispé, mais le temps joue contre nous, plus nous attendons, et plus il nous sera difficile de la remettre en place.

Nous décidons de descendre au moins jusqu’à la dépose de matos, là bas, nous pourrons faire chauffer de l’eau, le mettre dans un duvet, le réchauffer. Arrivés au bivouac, et Jérôme réchauffé, nous retentons l’expérience. Sans succès, il est maintenant beaucoup trop tard et tous ses muscles se sont contractés. Il va falloir descendre comme ça…

 

Chapitre 9 : Un retour précipité

 

Le soir même nous contactons l’armada, afin qu’ils nous envoient un bateau le plus rapidement possible. Et le lendemain, nous commençons la longue descente. Nous abandonnons 3 paires de crampons, la tente, les grosses chaussures de Martin et un casque pour nous alléger, car Jérôme ne pourra pas porter de sac. Puis, nous fabriquons une atèle de fortune et lui laissons les crampons pour marcher dans les pentes herbeuses. Nous réussissons à trouver un cheminement assez facile dans les arbres.

Quand nous arrivons en fin d’après midi, nous avons la surprise de voir un bateau dans la baie. Timing parfait, ils sont là depuis seulement 10 minutes. Et ce n’est pas le vieux bateau en bois de pêcheur qui est venu nous chercher, mais le beau bateau en métal de la CONAF. Beaucoup plus rapide, beaucoup plus puissant, et surtout, beaucoup plus adapté à la navigation au milieu des icebergs. Car, avec les changements de directions des vents, ils ont envahi le fjord. Nous plions les affaires en vitesse car le bateau ne peut rester longtemps dans la baie, en raison des marées.

Nous arrivons à Puerto Eden tôt dans la matinée. Pour Jérôme, c’est le début d’une longue attente, car il n’y a ni hôpital ni médecin au village. Il va falloir attendre 2 jours pour que le Navimag passe et voyager 2 jours dans ce ferry avant de rejoindre la première ville.

Là bas, sous anesthésie générale, il sera bien plus facile de remettre l’épaule à sa place.

 

Chapitre 10 : De la nécessité de revenir

 

Nous n’avons pu apercevoir le sommet qu’à peine quelques minutes. Mais déjà, il nous a envoûtés. Et l’approche n’est pas aussi horrible que nous l’avions imaginé. Maintenant que le chemin est tracé, que la cabane est construite et que nous connaissons les nombreuses démarches administratives à suivre, il ne nous reste plus qu’à y retourner.

 

Lise Billon

Épilogue

Le sommet du Cerro Riso Patron restera longtemps gravé dans leur mémoire. L'année suivante, ils y retournent et réussissent leur objectif. Cet entêtement paiera. Ils recevront alors un Piolet d'Or et le film de 52 min "Hasta las webas", réalisé par Antoine Moineville, son premier film, sera couvert de prix au festival de Val d'Isère avec le Prix du Jury "Aigle d'Or" 2017 et le Prix Espoir Hiventy…

 

 

Bande annonce du film disponible à la vente ou la location sur Vimeo

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